Odudu Umoessien
Il y a parfois dans la vie des moments qui révèlent l’origine de nos interrogations les plus profondes. Pour moi, tout a commencé dans les communautés intérieures d’Abuja, au centre du Nigéria. Le soir, lorsque j’étais enfant, je m’assoyais en cercle avec mes amis près du feu dans la cour centrale de mon quartier. Une de mes tantes nous racontait des histoires. Dans ce moment de proximité où nous étions tous assis ensemble, nous avions notre espace, un espace commun qui était guidé par la voix de la narratrice. Les autres enfants et moi, nous aimions être dans cet espace. Même lorsque les histoires étaient terminées, notre amour du lieu restait : nous en prenions soin et le faisions nôtre. Ma tante s’en est aperçue et m’a confié la responsabilité de préparer l’espace pour les autres enfants quand venait le temps de raconter des histoires. Cette intimité m’a fait apprécier l’espace. J’ai observé attentivement comment les gens l’utilisaient. C’est alors que je suis devenu passionné par la relation entre les gens et l’espace.
Ayant grandi au Nigéria, je n’avais pas pleinement conscience de la présence de l’architecture en raison de l’absence d’infrastructures et de commodités de base. Pour nombre d’entre nous, les mots « architecture » et « architecte » n’existaient pas. Il était peu probable qu’une personne éprouve le désir de poursuivre une carrière en architecture après avoir vu un bâtiment ou un espace impressionnant. Toutefois, j’étais toujours étonné de voir comment les gens pouvaient transformer leurs propres espaces et les personnaliser en l’absence de compétences techniques et de ressources. Étant doué en dessin, j’ai commencé à documenter ces espaces et ces structures vernaculaires. J’ai voyagé dans différentes communautés et j’ai observé comment diverses personnes possédant les mêmes ressources et compétences techniques produisaient une gamme éclectique d’espaces et de structures informelles et temporaires. L’observation de ces processus m’a exposé au monde de la forme en architecture. Je n’ai jamais cessé de dessiner ces structures en portant un intérêt particulier à leur relation avec les utilisateurs. Après des mois de documentation et d’observation, j’ai décidé d’étudier en architecture.
J’ai bien aimé apprendre le processus de la planification, de la conception et de la construction d’espaces, de bâtiments et d’autres structures, mais je n’étais pas vraiment convaincu que ma décision d’étudier l’architecture était la bonne après l’obtention de mon diplôme de premier cycle. Pendant un stage obligatoire dans une firme, on m’a confié la conception de nouvelles classes pour une école dans un petit village de l’île Lagos. Comme le budget était très serré, il a fallu faire appel à la collaboration entre des travailleurs qualifiés de la communauté et d’autres qui ne l’étaient pas pour réaliser le projet. Le design était une structure en bambou montée sur une plateforme élevée, car le terrain était saturé d’eau. J’ai surveillé étroitement les gens pendant que je travaillais avec eux et j’ai observé leur interaction avec l’emplacement et la structure fragmentaire pendant des mois. Les enfants s’assoyaient sur les échafaudages et les poteaux surélevés pour avoir des vues dégagées sur le site alors que les hommes et les femmes apportaient les fournitures et travaillaient sur le bâtiment. Il était nécessaire pour ces personnes, de travailler intuitivement, de faire des erreurs, puis de les corriger. C’est ainsi qu’elles ont commencé à s’identifier au bâtiment et à se l’approprier.
À l’ouverture des classes, il y avait un sentiment de joie et d’enthousiasme dans tout le quartier. J’ai réalisé que la façon dont j’avais utilisé mes compétences en collaboration avec les personnes de cette communauté les avait rendues fières de leur nouvel espace. Elles avaient confiance en elles : elles se voyaient elles-mêmes dans cette réalisation architecturale. L’architecture avait réussi à les faire se sentir riches et pleines de ressources, même si elles ne savaient pas comment les utiliser. L’expérience de construction collaborative a éveillé ma conscience. Les gens étaient optimistes et ont commencé à envisager le futur. J’ai réalisé le pouvoir de l’architecture, pas seulement dans sa forme, mais pour le rôle crucial que peut jouer un nouvel espace pour aider à définir la vie quotidienne de la population de ce village. De réaliser en direct comment l’architecture peut servir d’outil pour inspirer un changement radical dans la vie de centaines de personnes m’a rempli d’espoir et de conviction face à mon avenir, mais aussi face à l’avenir de mes communautés et de l’humanité. C’est à ce moment que j’ai réalisé que ma décision de devenir architecte était la bonne.