L’ÉTHIQUE DE L’ESPACE : L’ARCHITECTURE COMME MODALITÉ DE GUÉRISON
Laure Nolte
« Si cela ne m’aide pas à me transformer, d’une façon ou d’une autre, il en sera probablement de même pour les autres. Je suis prêt à risquer beaucoup, mais seulement pour ce qui semble avoir une capacité illimitée d’apporter la guérison ici. » - Chani Nicholas
Ma décision de devenir architecte est assez récente, mais l’idée a germé à mon insu, il y a plusieurs années, alors que j’étais adolescente. La maladie a frappé ma tendre mère lorsque j’avais quinze ans. Elle a reçu un diagnostic de sclérose en plaques, une maladie dégénérative qui l’a lentement privée de ses capacités physiques. Après deux ans, notre famille a décidé qu’elle avait besoin de plus de soins que ce que nous pouvions lui offrir à la maison et a décidé de la placer dans un établissement de soins de longue durée. À l’époque, j’étais encore une enfant. Je n’avais pas les ressources émotionnelles pour bien saisir ce que ces changements signifiaient pour ma mère, pour moi et pour nos vies ensemble. Nous avons cru que le déplacement était le meilleur choix pour elle, mais le moins que je puisse dire, c’est que je n’étais pas à l’aise lorsque je lui rendais visite. En rétrospective, je réalise que mon grand malaise dans l’établissement de soins de longue durée était plus qu’une simple colère contenue envers la maladie de ma mère. Les espaces qui auraient dû favoriser les moments de rapprochements et de soins entre les membres de la famille étaient plutôt des espaces institutionnels austères. Aucune chaleur n’émanait des matériaux choisis et il n’y avait aucun lien entre l’espace et la qualité de la lumière. Tous les endroits où les familles pouvaient se réunir ressemblaient à des chambres d’hôpital. Dans ces moments de traumatisme et de maladie, nous devions faire appel à toutes nos ressources.
Le design a une profonde capacité et une responsabilité éthique de soutenir les personnes et les membres de leurs familles qui vivent le traumatisme de la souffrance et de la perte. C’est là que ma plus grande peine m’a apporté ma plus grande leçon. Articuler mes valeurs fondamentales autour de la conscience de la capacité du design à améliorer la guérison émotionnelle et physique, voilà ce qui m’a amenée à l’action dans le domaine de l’architecture.
On voit aujourd’hui apparaitre de nouvelles typologies hospitalières qui renforcent la croyance en la capacité du corps humain à guérir, comme l’hôpital New North Zealand de Herzog et de Meuron, au Danemark. Leur énoncé de design se lit comme un manifeste pour cette nouvelle typologie : « L’hôpital est entouré par la nature et comprend un jardin en son centre. Un bâtiment horizontal est une typologie appropriée pour un hôpital, car elle favorise l’échange : dans les divers services, les employés travaillent à l’atteinte d’un même but : la guérison de l’être humain malade ». Herzog et de Meuron démontrent que des mesures simples en architecture, comme les vues sur la nature à partir des chambres individuelles, l’éclairage qui favorise les rythmes circadiens et les échanges entre les divers spécialistes qui visent tous la guérison des patients peut créer un monde de différence pour une personne qui séjourne dans un établissement de soins de santé. Ces architectes appliquent élégamment le savoir de l’architecture cognitive pour créer un milieu de guérison holistique. C’est là que le pouvoir du design entre en jeu.
Depuis le début de mes études en architecture, je profite de chaque occasion pour plonger profondément dans le domaine de la neuro-architecture qui connaît une croissance rapide. La découverte de certaines études brillantes de Sarah Williams Goldhagen et Colin Ellard à la jonction de la science cognitive et du design m’a confortée dans ma décision de devenir architecte, car elle m’a ouvert les yeux sur des façons mesurables et réalisables d’améliorer la qualité de vie par le design. Au fur et à mesure que la technologie progresse, nous améliorons nos connaissances sur le cerveau humain, comme jamais auparavant. La plasticité neuronale est un phénomène continu de la capacité de notre cerveau à évoluer sans cesse, à se remodeler et à trouver de nouvelles voies neuronales. Cette découverte transcende le domaine de la psychologie et a un impact direct sur divers autres domaines d’étude et de recherche, y compris l’architecture. Sarah Goldhagen, professeure pendant plus de 10 ans à l’École de design de l’Université Harvard, soutient que « la plasticité neuronale de notre cerveau a des incidences immenses sur la compréhension de la cognition : elle révèle qu’à mesure que nous apprenons, notre cerveau change de forme et nous refaçonne à travers nos vies, que nos esprits changent et sont littéralement formés par nos expériences dans les milieux physiques dans lesquels nous vivons ». Que nous en ayons conscience ou non, les espaces dans lesquels nous vivons ont des effets positifs ou négatifs sur nos corps.
Dans mon travail, je tente sans cesse de comprendre les effets du monde physique et matériel sur les processus cognitifs et d’appliquer cette connaissance au design de manière à optimiser les expériences et la qualité de vie des personnes. Les bâtiments peuvent être nocifs, mais ils peuvent aussi guérir. Avec la technologie qui évolue sans cesse, il est maintenant possible de recueillir des données sur les réactions physiologiques du corps humain au cadre bâti, à la configuration spatiale et à la matérialité. Ces nouvelles informations peuvent orienter les décisions architecturales vers un environnement plus favorable à la guérison. Je crois que nous pouvons nous épanouir comme êtres humains même quand nous sommes malades. Je crois aussi en la capacité du corps humain à guérir dans les bons environnements. Je crois que grâce au pouvoir de l’architecture, nous pouvons concevoir des milieux propices à la guérison.
Je crois enfin que par les connaissances et l’application de la neuroscience, nous pouvons renforcer la capacité de l’architecture à créer des espaces inclusifs et curatifs. Avec un nombre croissant de données mesurables, le domaine de l’architecture a une responsabilité éthique d’intégrer la recherche des études cognitives dans la pratique.
Il m’apparait aujourd’hui clairement que l’expérience douloureuse des visites à ma mère en établissement de soins de santé pendant mon adolescence est ce qui me guide dans le domaine de l’architecture. J’entrevois mon avenir dans la profession comme une mobilisation de toutes mes ressources pour faire de mes expériences passées la porte d’entrée vers l’atteinte de mes objectifs en architecture. La beauté de tout ce processus, c’est que l’étude de l’architecture me permet à moi aussi de guérir. Avant de commencer un projet de design, j’écris toujours une note à accrocher dans mon atelier et qui dit : « Je veux transformer cet espace, et je veux être transformée par le processus. »